
La grande interview
par Fiammetta S.
Parlez-moi un peu de vous: où et quand êtes-vous née et quelles ont été vos études? Qui est Juliette Jourdan?
Je suis née dans l’hémisphère nord, dans la deuxième moitié du 20ème siècle, à temps pour assister au premier pas de l’homme sur la Lune et pour profiter de la mode hippie, en particulier les pantalons pattes d'eph. Donc je m’estime chanceuse.
Que dire de Juliette Jourdan? J’aime les chats, les livres, la pluie et le chardonnay. J’aime aussi le cinéma, en particulier le cinéma italien, en particulier celui de Fellini. Mes amis disent que je suis une très bonne cuisinière. Mais je n’ai pas beaucoup d’amis. J’aime la solitude et la farniente. J’écoute Maria Callas, le plus souvent dans la Norma. J’écoute aussi Dolly Parton. Mon livre préféré s’intitule Flowers for Algernon. Je n’ai pas fait de longues et brillantes études; mes études furent plutôt courtes et ternes. Je n’ai jamais fréquenté les milieux artistiques et intellectuels. Je n’aime pas voyager, sauf en Italie, en Toscane. Et à Venise, bien sûr. Mon premier grand choc artistique fut le film Ben Hur, en Cinémascope, sur grand écran. J’avais peut-être dix ans. La course de chars et la visite aux pestiférés ont laissé en moi une empreinte indélébile.
Dans La fille de Casablanca vous décrivez la ville comme si vous la connaissiez très bien. Avez-vous visité ou même vécu au Maroc?
Je n’ai hélas jamais mis les pieds à Casablanca. Je me suis documentée de mon mieux sur la Casablanca de 1956, pour éviter d’écrire trop de bêtises, notamment la topographie de la ville, le nom des rues, les bâtiments officiels et monuments historiques, les cafés, restaurants, night-clubs, les transports en commun, l’activité portuaire, etc. J'ai essayé de rester fidèle à la géographie, à l'histoire et surtout à l'atmosphère de cette ville extraordinaire, une ville de la démesure et de la douceur de vivre, pareille à nulle autre, qui était en quelque sorte, à cette époque, le New York du continent africain. Tout le reste, je l’ai inventé.
Comment êtes-vous entrée dans le monde littéraire? Est-ce qu’un ou une auteure vous a inspirée, a influencé votre style d’écriture?
Je n’ai pas l’impression d’être jamais ”entrée“ dans le monde littéraire ni d’en faire partie. Je suis une auteure très marginale, ni connue ni reconnue, ou si peu. J’écris pour mon seul plaisir, même si bien entendu je souhaiterais que mes livres m’apportent la gloire et la fortune. J’aimerais connaître le destin littéraire d'une Jacqueline Susann ou d’une Elena Ferrante, mais je partage plutôt celui de Jean Rhys et ce n’est pas plus mal. Jean Rhys est l’une des romancières que je préfère. Good Morning, Midnight est un pur joyau. Sinon, notre maître à toutes et à tous demeure Balzac.
Vous avez écrit plusieurs romans, notamment Le choix de Juliette et Procédure Dublin. Travaillez-vous sur d’autre types de publications?
Je n’écris que des romans et des nouvelles. Je ne sais écrire rien d’autre. Rédiger une simple lettre de remerciements ou de condoléances me demande des heures, pour un résultat attristant. D’une manière générale, écrire est pour moi un processus long et pénible. Cela représente beaucoup de temps et d’efforts. Mes textes sont relus, corrigés, réécrits plusieurs fois – cinq, six, sept fois. Je ne suis jamais vraiment satisfaite. Au fond, je préfère ne pas écrire plutôt qu’écrire. De façon générale, je préfère ne rien faire plutôt que faire quelque chose. Rien ne m’est plus agréable que de regarder tomber la pluie derrière la vitre d’un café. Je suis par nature très paresseuse. Donc je n’écris que quand j’en ressens une envie très forte, quand j’ai l’intuition d’avoir quelque chose d’important ou d'intéressant à dire, ce qui heureusement n’arrive pas très souvent.
Quelles sont les histoires que vous aimez le plus raconter? Est-ce qu’il y a un fil conducteur qui les relie?
J’écris depuis que je sais écrire, car j’ai toujours aimé raconter des histoires et j’ai toujours cru (à tort) que cela m’aiderait à vivre et aiderait aussi les autres. Ce serait en somme ma façon d’aider les autres: en les divertissant et en les instruisant. La première histoire que j’ai écrite, à sept ou huit ans, et dont je me souviens assez bien, était consacrée à Jules César. J’avais été frappée par la capacité de ce personnage à prononcer des paroles inoubliables: ”franchir le Rubicon“, ”le sort en est jeté“, ”je suis venu, j’ai vu etc.“, ”toi aussi, mon fils“. La phrase ”franchir le Rubicon“, en particulier, me ravissait, car elle me procurait le sentiment que le simple fait de traverser une rue ou un pont pouvait se transformer en exploit héroïque. Ce n’était pas tant les faits d’armes et les conquêtes du quatrième des César qui me fascinaient que ces fortes paroles qui, vingt siècles plus tard, gardaient toute leur étrange beauté. C’est d’ailleurs cela qui fait qu’un livre devient un classique: vingt ans ou vingt siècles plus tard, on peut le lire avec plaisir et profit.
Revenons à La fille de Casablanca: quelles recherches avez-vous conduites sur les personnages, en particulier Jenny?
J’ai trouvé l’essentiel de la documentation, c’est-à-dire peu de choses au final, sur Internet. J’ai eu la chance de rencontrer une jeune femme, doctorante en Suisse, qui travaille sur ce sujet et qui m’a apporté un certain nombre d’informations sûres, notamment médicales, sur le Dr. Burou. Tout ce qui le concerne est, dans l'ensemble, grosso modo, inspiré par des faits réels. Il était gynécologue à la Clinique du Parc, il a pratiqué le premier ”changement de sexe“, comme disait Paris Match, etc. Pour le reste, j’ai inventé. Le personnage de Jenny est entièrement imaginaire, sauf son prénom et son âge; on sait en effet que la première patiente du Dr. Burou s’appelait Jenny et avait 22 ans.
Que pensez-vous du fait que votre roman sera traduit en italien?
C’est pour moi une grande joie et un honneur. J’y vois une forme de reconnaissance et d’encouragement, et aussi un signe amical. L’Italie étant un pays cher à mon cœur, dont je comprends un peu la langue, j’en suis d’autant plus heureuse.